Rapport
ALLOCATION LOGEMENT ET HABITAT INDÉCENT
Micheline Jacques est rapporteur au nom de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi de Jean-Louis Lagourgue, visant à mieux protéger les locataires bénéficiant d’une allocation de logement et vivant dans un habitat non-décent.
Sur ma proposition, en ma qualité de rapporteur, la commission des affaires économiques n’a pas adopté de texte sur la proposition de loi visant à mieux protéger les locataires bénéficiant d’une allocation de logement et vivant dans un habitat non décent.
On recense en effet 420 000 logements indignes sur l’ensemble du territoire français dont 110 000 dans les outre-mer parmi lesquels 18 000 pour La Réunion. La non-décence quant à elle, ne concerne que le logement locatif et ne relève que des relations entre bailleur et locataire. En cas de signalement, la loi a prévu un mécanisme de retenue des allocations en cas de refus du bailleur de mise en conformité à la suite du signalement d’un locataire.
La proposition de loi de mon collègue sénateur de La Réunion, Jean-Louis Lagourgue, prévoyait de compléter la retenue des allocations de la possibilité de consigner le solde du loyer auprès de la Caisse des dépôts et consignations.
Les auditions que j’ai conduites dans le cadre des travaux préparatoires ne m’ont pas convaincues de l’adéquation du dispositif proposé. Il convient en effet de ne pas complexifier davantage la procédure pour les locataires.
L’auteur de la proposition de loi n’ayant pas approuvé une demande de renvoi en commission qui aurait permis de un travail plus approfondi, j’ai donc proposé à la commission de ne pas adopter ce texte.
Les auditions ont mis en lumière de réelles difficultés dont il sera tenu compte dans le cadre de prochains travaux sur le logement.
Intervention en séance du 16 mars 2023
M. le président. – L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à mieux protéger les locataires bénéficiant d’une allocation de logement et vivant dans un habitat non décent, présentée par M. Jean-Louis Lagourgue et plusieurs de ses collègues.
DISCUSSION GÉNÉRALE
Micheline Jacques, rapporteur de la commission des affaires économiques. – (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question du logement non décent est malheureusement un sujet récurrent dans notre hémicycle.
Les chiffres montrent que nous n’avons pas encore trouvé les clés pour résorber ce fléau : en France, il y aurait au moins 420 000 logements indignes. Outre-mer, la situation est encore pire : il n’y en aurait pas moins de 110 000 dans les départements et régions d’outre-mer, soit 13 % du parc. C’est dix fois plus qu’en métropole ! À La Réunion, le département de Jean-Louis Lagourgue, il y en aurait 18 000.
C’est pourquoi je voudrais doublement remercier Jean-Louis Lagourgue : tout d’abord, pour attirer de nouveau notre attention sur la situation de ces ménages qui sont confrontés à des conditions de vie vraiment dramatiques, ensuite, pour nous permettre de nous focaliser sur la situation particulièrement dégradée du logement en outre-mer.
J’en avais déjà dressé le constat il y a un an et demi, dans le rapport d’information sur la politique du logement en outre-mer que j’ai cosigné avec nos collègues Guillaume Gontard et Victorin Lurel au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer.
C’est un sujet qui me tient particulièrement à cœur, car, au-delà du seul aspect matériel, la dégradation de l’habitat a des répercussions sur tous les aspects de la vie de ses occupants : ce sont des problèmes respiratoires causés par des moisissures, c’est un jeune qui ne peut pas s’isoler pour faire ses devoirs à cause d’une fuite dans le plafond, etc. Face à ces problèmes, les locataires se sentent souvent démunis.
Pour lutter contre l’habitat dégradé, le dispositif proposé est simple et, je dois le dire, séduisant : prolonger le dispositif actuel de retenue temporaire des allocations de logement, lorsque le logement est déclaré non décent, en consignant le reste à charge du loyer. L’idée est de faire pression sur les propriétaires, pour qu’ils engagent rapidement les travaux de mise en décence nécessaires.
Je vois cependant plusieurs écueils à la mise en œuvre de ce dispositif.
Tout d’abord, la notion de non-décence ne s’applique, en droit, qu’aux logements locatifs. Le problème des propriétaires occupants de logements insalubres ou indignes ne fait donc pas partie du champ de la proposition de loi. Or ils sont nombreux, particulièrement dans nos outre-mer.
Ensuite, le dispositif proposé ne concerne que les locataires qui bénéficient d’allocations de logement. C’est donc une petite partie du logement dégradé qui pourrait, en théorie, être traitée par le dispositif proposé.
Or, pour cette petite part, la procédure actuelle de retenue des allocations de logement est déjà très efficace : selon les services de l’État, plus de 95 % des procédures engagées aboutiraient à une remise en état dans les dix mois prévus.
Surtout, tous les acteurs que j’ai interrogés m’ont fait part de leurs craintes quant à des effets de bord négatifs, à la fois pour les propriétaires et pour les locataires.
En ce qui concerne les propriétaires, je voudrais d’entrée de jeu souligner que les possesseurs de logements non décents ne sont pas tous des marchands de sommeil, loin de là.
Les critères de non-décence ont été considérablement renforcés ces dernières années. C’est bien entendu une très bonne chose, mais le sens juridique du mot « décence » s’est ainsi beaucoup éloigné de son acception courante, ce qui brouille quelque peu les repères. Si un logement indigne est forcément non décent, le contraire n’est pas nécessairement vrai.
Par exemple, la dernière évolution en date des critères de décence concerne les performances énergétiques. Vous le savez, mes chers collègues, depuis le 1er janvier dernier, les logements G+ sont interdits à la location.
D’ici à 2034, c’est l’ensemble des logements classés E, F et G qui seront qualifiés de « non décents ». Cela rend nécessaire la rénovation de dizaines de milliers de logements locatifs, ce qui représente des investissements considérables pour les propriétaires. Serait-il raisonnable de les priver, précisément maintenant, d’un complément de revenu qui pourrait justement financer ces travaux de mise aux normes ?
Dans une perspective plus large, ce ne serait d’ailleurs pas forcément rendre service aux locataires : d’ores et déjà, on constate une surreprésentation des passoires énergétiques dans les mises en vente de logements. Ce sont autant de logements qui sortent du parc locatif, temporairement ou définitivement.
Or la tension du marché locatif peut aussi favoriser, indirectement, le maintien dans des logements non décents, lorsque les prix pratiqués sont trop élevés pour que les locataires osent quitter leur logement ou même tenter de faire valoir leurs droits auprès des bailleurs.
En outre, introduire une procédure active de consignation du reste à charge pourrait, si cette procédure était mal comprise par les locataires, amener une partie d’entre eux à cesser purement et simplement de payer leur loyer. Ils se mettraient ainsi en tort et s’exposeraient à une expulsion.
Aussi, loin de protéger les locataires, le dispositif risquerait de les fragiliser encore davantage.
En réalité, la question de la résorption du logement non décent nécessite de prendre en compte tout l’écosystème du logement. Il faut évidemment mieux informer les locataires sur leurs droits. Il faut les encourager à activer la procédure existante de retenue des allocations, qui, je le répète, est très efficace, et les encourager à aller devant le juge pour obtenir une injonction à réaliser des travaux, voire une diminution du loyer si le logement demeure non décent.
Il faut également mieux accompagner les propriétaires, notamment en faisant connaître les aides à la rénovation – elles sont nombreuses.
Je comprends le sentiment d’urgence qui sous-tend cette proposition de loi, particulièrement dans nos outre-mer. Mais à l’écoute de mes interlocuteurs réunionnais, j’ai surtout compris que le sujet dépassait largement le champ de l’habitat indécent : la plupart des cas évoqués lors des auditions relevaient clairement de l’habitat indigne ou insalubre, voire de situations de péril.
Or, pour ces situations, il existe d’autres procédures, bien plus rapides et plus coercitives, pour contraindre le propriétaire à faire des travaux, voire les réaliser d’office. Que ces procédures ne soient pas mises en œuvre par les autorités administratives, qui en ont le pouvoir en temps utile, c’est un autre problème…
On m’a aussi parlé d’immeubles de moins de dix ans tenus par des étais, de bâtiments soudainement sortis « non décents » d’une opération de réhabilitation…
Ce sont les symptômes de problèmes systémiques du secteur du bâtiment et du logement à La Réunion : nombre trop limité d’entreprises de taille critique ; difficultés d’approvisionnement en matériaux de qualité ; déficit d’encadrement intermédiaire des chantiers et de contrôle qualité ; rigidité du mécanisme de la garantie décennale… Sans parler de l’inadaptation de certaines normes aux territoires ultramarins.
En résumé, pour élaborer des stratégies efficaces de lutte contre l’habitat dégradé, que ce soit en métropole ou outre-mer, c’est l’ensemble de l’écosystème qu’il faut prendre en compte, et pas simplement la relation contractuelle entre les locataires et les bailleurs, qui sont en bout de chaîne et pâtissent de ces situations.
Pour toutes ces raisons, la commission n’est pas favorable à cette proposition de loi.
(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.)
Le Sénat n’a pas adopté la proposition de loi