gestion des déchets
dans les outre-mer

Ce débat m’a permis de rappeler le choix qui avait été fait pour Saint-Barthélemy, auquel je suis attachée. Le coût du service public de l’élimination des déchets doit rester faible car l’adhésion des ses usagers, particuliers comme professionnels, est indispensable à son bon fonctionnement.

Intervention - Débat du 31/05/2023

Micheline Jacques. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, la gestion, le traitement, la valorisation des déchets font partie des nombreux défis que les outre-mer ont à relever. À cet égard, le constat dressé par nos collègues Gisèle Jourda et Viviane Malet dans le rapport qu’elles nous ont présenté est à la fois précis, éclairant et alarmant.

Décrivant une scène glaçante à Mayotte, nos collègues nous fournissent une photographie des conséquences du retard de la gestion des déchets sur la population et l’environnement, qui ne peut nous laisser ni insensibles ni inactifs, même si l’image est paroxystique.

Au-delà du constat, nos collègues nous orientent vers des pistes destinées à corriger les politiques publiques de gestion des déchets, dont l’inadaptation semble être, à bien des égards, la source des situations sur lesquelles elles nous alertent.

Au fil des pages, le caractère multidimensionnel de l’enjeu de la gestion des déchets apparaît nettement, de même que la nécessité d’aborder l’indispensable rattrapage avec des solutions pragmatiques et un regard lucide. À ces conditions, il est possible de résoudre l’épineuse question du traitement des déchets en s’appuyant sur les leviers de développement qu’elle renferme.

Saint-Barthélemy a très tôt défini une politique de gestion et de traitement de ses déchets garantissant son autonomie. Cette organisation – que l’on doit d’ailleurs à Michel Magras – reposait sur l’idée que la propreté de l’île, conséquence visible de l’élimination et de la gestion des déchets, devait se situer au cœur de la politique économique de celle-ci, compte tenu de sa dimension fortement touristique tout autant que de sa politique environnementale. C’est ainsi que cet enjeu est devenu une priorité de politique publique et, partant, financière.

Saint-Barthélemy a donc fait le choix, dès 2002, du traitement par incinération couplé à une valorisation énergétique permettant d’alimenter l’usine de dessalement, dès lors totalement autonome.

La gouvernance simplifiée et l’étroitesse du territoire ont certes favorisé le succès de cette politique. Celui-ci, toutefois, n’aurait pu être total sans l’adhésion de la population, qui est primordiale.

L’économie de Saint-Barthélemy en fait un territoire importateur et producteur de déchets. Pour rester attractifs, le traitement et la gestion des déchets doivent continuer de constituer une dépense prioritaire pour la collectivité.

C’est forte de cette expérience que je souscris d’emblée à l’ensemble des préconisations de nos collègues.

Parler du traitement des déchets outre-mer est une nouvelle occasion d’éprouver le cadre normatif et son adaptation à ces territoires. En effet, comment réussir une politique publique lorsque les normes qui s’appliquent à un territoire constituent un frein ?

Dans un contexte où le déficit d’ingénierie est régulièrement pointé, la complexité des objectifs est le premier obstacle au bon développement d’une politique efficiente de gestion de déchets. Le panorama qui nous est présenté vient, s’il en était besoin, renforcer la conviction qu’il est nécessaire d’orienter davantage les formations en fonction des besoins. J’ai eu l’occasion, en ma qualité de rapporteur pour avis de la mission outre-mer, de préconiser la création d’au moins une école d’ingénieurs par bassin océanique.

Notre République, qui a raison d’être exigeante, ne cesse de durcir les objectifs et les contraintes qui pèsent sur la gestion de nos déchets, mais de manière souvent irréaliste au regard des situations ultramarines.

L’exemple des cahiers des charges des éco-organismes, inadaptés aux outre-mer, est éloquent. Nos collègues relèvent que seul le cahier des charges de la filière « emballages ménagers » de ces organismes contient des dispositions propres aux outre-mer. Or dans la construction de filières responsabilité élargie du producteur (REP), ceux-ci sont des acteurs et des partenaires centraux.

Le rapport soulève également la complexité des données, qui fait obstacle à une bonne planification. Cette impossibilité de collecter des données, également pointée par la Cour des comptes, vient s’ajouter à une fragilité générale en la matière dans les outre-mer. Une bonne politique de rattrapage pourrait être soutenue par la planification, mais elle est difficile à mettre en œuvre en l’absence de données.

Autre outil, la fiscalité applicable aux déchets devrait être un facteur d’encouragement. Mais la TGAP, par exemple, vient au contraire grever les budgets de fonctionnement des personnes chargées du traitement des déchets alors que les besoins en investissements sont colossaux. Une meilleure mobilisation des fonds structurels européens est donc essentielle.

Toujours pour ce qui concerne la TGAP, les réfactions dont bénéficient les outre-mer sont un facteur d’incertitude. On ne sait à quel horizon elles seront supprimées. Pourtant, la visibilité favorise les investissements. L’affectation de cette taxe au budget de l’État la rend par ailleurs de moins en moins compréhensible dans le contexte ultramarin.

Les pistes d’amélioration suggérées par nos collègues méritent donc d’être explorées lors de la prochaine session budgétaire – si cela n’a pas été fait dans le cadre du comité interministériel pour l’outre-mer (Ciom).

Les besoins de financement sont indéniablement très élevés, que ce soit pour les équipements structurants ou le fonctionnement. En effet, outre-mer, le coût de gestion du service public des déchets est en moyenne 1,7 fois plus important qu’en métropole, pour une ressource fiscale moindre.

En matière fiscale, les éléments mis en évidence par nos collègues constituent en outre une invitation supplémentaire à l’échange de bonnes pratiques entre territoires ultramarins. Les solutions innovantes et incitatives mises en œuvre par Wallis-et-Futuna ou la Nouvelle-Calédonie peuvent utilement nourrir la réflexion sur la fiscalité de l’ensemble des territoires.

La gestion des déchets outre-mer est aussi marquée par une culture moins développée des réflexes de tri, de même que de la responsabilisation du consommateur. Les points de collecte volontaire y sont moins nombreux, et le porte-à-porte reste prédominant.

Comme je l’indiquais à l’instant, une politique de gestion des déchets ne peut se concevoir sans l’adhésion des populations et leur implication. C’est pourquoi, comme le suggèrent nos collègues, il y a lieu d’aborder la question de la gratification sans tabou. Le retard pris dans la structuration des politiques s’est répercuté sur le développement de la culture du tri. Celle-ci doit être plus fortement encouragée outre-mer – ce qui n’empêche pas de renforcer l’effectivité des sanctions, cela va sans dire.

Au moment où le poids de l’empreinte carbone est au cœur de toutes les politiques publiques, on ne saurait s’en affranchir dans la réflexion sur les déchets outre-mer, d’autant que les territoires concernés sont marqués, dans ce domaine, par une forte dépendance aux exportations.

Dans cette optique, la valorisation et la prévention offrent des solutions pour réduire le coût écologique de la gestion des déchets, envisagé cette fois dans le cadre des échanges. Le tribut payé localement par l’environnement est déjà bien lourd du fait de l’enfouissement.

Habiliter les collectivités à définir les matières dont elles autorisent l’entrée est, là encore, une préconisation particulièrement pertinente. En même temps, priorité doit être donnée au développement de filières de valorisation, en particulier énergétique.

Le rapport sur le logement social relevait déjà des difficultés résultant de l’absence de gestion locale de l’amiante, qui pourrait peut-être faire l’objet de réemploi.

L’encouragement au réemploi, dans une optique de développement d’économies circulaires, est un autre outil de gestion de déchets, qui doit être encouragé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Le rapport sur la gestion des déchets outre-mer dresse le terrible constat des conséquences sanitaires et environnementales du retard pris dans la structuration de la filière de gestion des déchets dans de nombreux territoire. 

Nos collègues rapporteures formulent de nombreuses pistes, 26 recommandations, afin de tourner les outre-mer vers l’économie circulaire, horizon d’une gestion optimisée des déchets.

Les travaux de la Délégation sénatoriale aux outre-mer